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Marguerite Yourcenar L'invention d'une vie de Josyane Savigneau

"Mirage de l'écrivaine"


Me voici, aujourd'hui sur la route de Marguerite Yourcenar. Le mythe de l'écrivaine seule, dressée devant l'assemblée de la littérature. Il n'existait pas de réseaux sociaux, les correspondances, les salons littéraires aidaient à se faire connaître. Quelle était la place de l'écrivaine sur les bancs des hommes qui déployaient les livres ? Comment communiquer, prendre une place et partager sa plume en tant que femme ?


Résumé : Josyane Savigneau nomme son livre "Marguerite Yourcenar L'invention d'une vie". La vie qu'elle retrace pourrait être tirée et interprétée à partir de la trace que l'écrivaine égraine dans ses livres et ses carnets. Pourtant, une femme peut jouer, trier afin de donner une belle image d'elle. Marguerite Yourcenar est un personnage, un être calfeutré dans une couverture de livre. Qui est vraiment Marguerite Yourcenar, la première femme de l'Académie Française ?


Mon avis : Une introduction qui dresse le portrait d'une femme. Une littéraire, une écrivaine. Reconnaître ou repousser l'idée de sa personnalité, de ses choix, de son entourage ou même de ses connaissances. Les mots s'impriment et laissent des traces. Alors, que transmettre et quoi retenir ? La vie est un film et certains aimeraient y déposer sa légende : Voici mon oeuvre. Comment l'imaginer ? Comment la comprendre ? Assembler les cartes et les relier, les lire puis toucher la vérité.

Marguerite Yourcenar, la femme du début du XXème siècle, née à Bruxelles, la capitale de l'Europe dit-on aujourd'hui. L'écrivaine cosmopolitaine sera la femme de plusieurs pays, plusieurs villes. Une carte de visite un peu partout, elle est l'émigrée de nulle part et de partout. L'amour et ses espérances, ses désillusions, ses attentes et ses déceptions. Se souvenir, s'inventer. Le commencement de l'histoire ou le recommencement d'une vie.


"Toutefois, comme il ne faut pas oublier que Marguerite Yourcenar ne s'est jamais vraiment intéressée à sa vie personnelle que pour la reconstruire et en faire un objet littéraire, la plus grande prudence s'impose face aux "informations" contenues dans sa trilogie familiale. De plus, quand Marguerite Yourcenar évoquait "Quoi ? L'éternité", elle disait "mon roman". Une manière de prévenir ceux qui n'en auraient pas déjà été certains que le témoignage brut, le "vécu", n'étaient en rien son propos."


L'enfance : exister, être quelqu'un. Une existence qui débute seule. Peut-elle se laisser tenter par la solitude ? Puis, le père et la fille montent un binôme littéraire. Il suffit d'un ancrage pour se trouver. Elle publie. L'homme fascine Marguerite Yourcenar. Elle est à la recherche de sa face cachée, un désir de se répandre dans la rivière qui coule dans un autre sens. Entrer dans la grotte de l'homme et découvrir ses envies, ses remords. L'attirance, la séduction, la relation. Pourtant Marguerite sait-elle vraiment ce qu'elle désire ? La masculinité et se compléter ou l'absorber pour la refouler ?


"En 1934, Marguerite rencontre beaucoup de femmes. Elle aime les séduire. Elle ne supporte guère qu'on lui résiste. Elle cherche aussi à séduire les hommes, se souviennent ceux qui la fréquentèrent au cours de cette décennie."


Jouer au double jeu. Violente ou intrigante dans son écrit, Marguerite Yourcenar et la liberté d'une écriture dans un brouillon d'incertitudes, de contradictions ou de frustrations mais libre envers elle-même. Les pieds en Grèce, la tête à Paris, les lettres de Grace et les bras de Lucy, l'écrivaine vit dans la présence avec les autres. Marguerite Yourcenar est-elle nomade dans l'esprit et dans le corps jusqu'à en perdre la raison dans l'écriture ? Non. Ecrire de la même façon qu'un homme, pas de romance : des avis. Pas d'histoires qui se terminent avec l'esprit réjoui ou admiratif, Marguerite tranche, bouscule et affirme. Elle lève le rideau rouge sur sa vie tout en laissant virevolter un fin voilage et ainsi ne pas dévoiler les personnages ou les vérités.


"Quand, au douzième coup de minuit, le 31 Décembre 1948 laisse place au 1er janvier 1949, Marguerite Yourcenar entre, sans le savoir encore, dans une année décisive, celle de la reconquête de ses ambitions littéraires : c'est la fin d'une parenthèse de presque dix ans dans l'itinéraire, pensé et voulu depuis l'enfance, vers la pleine réalisation de soi."


Se réaliser, c'est aussi en dehors de l'écriture. La plume se veut être libre, se lier avec la ligne mais sans en être dépendante. Qui a besoin de l'autre ?

Lorsqu'on pense à deux, plusieurs choix sont à faire : Travailler, être seule; partir ou rester ; un pays ou un autre.

Marguerite Yourcenar cultive alors son jardin, elle est libre et dépendante. Elle fait le choix de rester pour sa propre convenance.

L'écrivaine prend le large ou s'établit au gré de son envie, le monde est transparent, elle prend note, elle efface, elle réécrit.

La barque de l'écrivain, selon Marguerite, ne peut être un refuge de solitude pour reprendre l'écriture. Le commandant est à bord, il dirige, il confie, il octroie, il regarde et trace le chemin tout en gardant un cap. S'investir, s'y consacrer, s'y abandonner. Le projet du roman est une association : l'écrivain et la personne réelle (ou pas) qui conseille, épaule ou même justifie l'écrivain. Le rythme de l'écriture, c'est le vent qui le pousse. Diriger, bousculer, encourager la plume, la découvrir plus belle, plus loin et plus complète, l'écrivaine seule n'est que l'instrument de sa propre imagination : le roman est un tissage de multiples acteurs dont seul l'auteure est son propre maître, le reste : son univers.


"Elle a une maison où elle peut entasser ses archives, abriter les objets qu'elle aime. La voyageuse qui n'avait de passé que les souvenirs qu'elle promenait avec elle, a désormais un port. "


Petite plaisance : Marguerite Yourcenar pose ses valises. Les livres placés dans la bibliothèque, la plume qui traîne sur le bureau reste à constituer un binôme. La présence de la divinité sous l'écriture ou par la présence. Exister, c'est ainsi.


Etre reconnue par ses pères, voici la notoriété pour Marguerite Yourcenar. Tout le reste demeure la mythologie de l'écrivain. Promotion, signature du contrat d'édition, revoir les amies, Marguerite vogue sur l'océan, une marée de visites professionnelles ou personnelles puis elle disparaît de l'autre côté après avoir laissé une trace, au revoir, à bientôt.


La vie est aussi un combat : la maladie, la déception, les conflits mais si elle veut entretenir la légende, ne pas cultiver la curiosité malsaine qui pousse à savoir : qui est Marguerite Yourcenar, qui est l'écrivaine ? Ses pairs de la littérature reconnaissent le travail mais le public aime regarder à l'intérieur des phrases, du livre : qui s'y cache ?


"Au fond, rien ne pourrait lui faire perdre l'envie de vivre. Elle sait que "ce que les astrologues appellent "la fin des choses" est proche " et "qu'il finit par y avoir en nous quelque chose qui dit "cela suffit". Mais en dépit de l'immense tristesse du monde (...) ce miracle de sensibilité et de lucidité qu'est la vie me semble devoir être vécu jusqu'au bout sans découragement, et avec une sorte de confiance. On glisse si facilement de l'acquiescement sage et serein à tout ce qui est possible, ou un jour ou l'autre inévitable, à un consentement trop facile.""


Clore le chapitre d'un amour, écrire une nouvelle histoire. Marguerite Yourcenar représente un livre comprenant plusieurs sujet, du "Je" à "Elle" jusqu'au "Nous". On y trouve plusieurs adjectifs, des comparaisons, des débats et des contradictions. L'amour, comme ses livres, est un objet de son écriture. Puis, elle pose le mot "Fin".


Marguerite Yourcenar selon les autres : c'est le regard malicieux de Jean d'Ormesson, l'entendre raconter lentement mais assurément l'élection de l'écrivaine à l'Académie Française. Le regard de Josyane Savigneau qui rencontre et découvre Marguerite, la légende de son adolescence. La jeune femme curieuse et admirative de celle qui enchanta ses lectures présentes sur sa table de chevet ou les textes écoutés en cours de l'écrivaine reconnue du XXème Siècle.


Ma conclusion :

Josyane Savigneau écrit la vie d'une femme. Une écrivaine, première femme à entrer à l'Académie Française, l'invention d'une vie, pourquoi ?

Marguerite raconte à demi-mot sa vie. Elle note sur ses agendas et garde ses correspondances. Une personnalité à demi dans l'ombre. Tantôt dans la lumière puis dans le noir. Le positif et le négatif, le masculin et le féminin, le sens et le contre sens de la raison, de la vérité. Josyane Savigneau partage avec honnêteté et un travail incroyable tous les éléments, les histoires qui pèsent le pour et le contre du mythe de l'écrivaine solitaire. Si aujourd'hui, je voulais savoir qui était Marguerite Yourcenar, si je pensais comprendre le rôle et le sens de l'écrivaine au XXème Siècle, si je découvrais les personnalités et les troubles, les combats et les enjeux de l'écrivaine, je ne pouvais mieux choisir que ce livre.

L'écriture personnelle, choisie mais aussi partagée, le lien de l'espace privé et publique qui de nos jours s'emmêlent dans le jeu de la reconnaissance publique et la signature dans une maison d'édition, je pense que Marguerite Yourcenar serait aujourd'hui la reine de Twitter !

Exploser son talent par le repli sur soi puis se livrer en s'inventant ou se réinventant à la décennie présente. Se défendre et s'imposer à distance. Ne rien attendre et tout voir. Mener sa vie au gré des rencontres, des situations et garder son soi pour se sentir encore différente des autres, s'exclure du monde et le regarder passer... juste laisser une trace...

On sème, l'autre récolte pour peu que les graines tombent dans des mains bien agiles, cela donne une nouvelle fleur qui vient de la même famille, de même nom ou de même couleur avec quelques belles précisions. Le dos droit et la collerette bien placée : elle revit.


Ma note : 5/5


Pour se procurer le livre c'est ici ou ici








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